Journaux d'intérêt public: Conditions dangereuses

conditions dangereuses j’ai pu lire placardé sur l’arrêt de bus alors que sous moi ma roue a glissé de sous mon poids, dessinant une courbe de plus dans mon sillon hivernal. je me sens revenir de la préhistoire de ma vie, dégelé par moi-même du glacier où je me suis arrêté, où j’ai décidé de m’arrêter et où je suis resté pris. conditions dangereuses et pourtant quand un autre cycliste me crie «beau temps n’est-ce pas» on rit tous les deux en skiddant dans la glace neigeuse, la neige glaçeuse, la sloche craquante brillante argentée comme on la trouve avant que nos services viennent la noircir et je me dis que c’est quand même toute une chance de vivre l’adversité par choix en roulant direct vers une douche chaude. conditions dangereuses et pourtant la mer en vaut parfois ses tempêtes et on survit mieux aux déferlantes quand on va dans le même sens qu’elles. conditions dangereuses que posent les frémissantes tentatives, les délicates et peureuses et parfois douloureuses tentatives de s’apercevoir aimé dans les yeux des autres et d’enfin atteindre la certitude qu’on a existé pour en venir à quelque chose quelque part quelqu’un. conditions dangereuses que de vivre pour deux pour trois pour plus, de vivre pour ceux qui ne peuvent plus vivre et qu’on accumule en soi et que j’accumule en moi et qui pèsent sur chacun des coups de pédale qui m’avance dans la nuit. il m’arrive de m’arrêter devant les maisons qui abritent ceux que j’aime la nuit pour bien sentir la solidité de leurs fondations l’étanchéité de leur toit le velours de leur chauffage, sentir que pour ce soir rien de grave n’arrivera, que le calme ne sera pas dérangé, qu’on pourra dormir tranquille. conditions dangereuses je lis alors que sous moi ma roue glisse de sous mon poids et que par la force de mes familles au chaud et de mon frère dans la terre je reprends pied et je réponds en riant: «beau temps mets-en».